Déménagement
Après Blogger, après canalblog, j'essaie une autre plateforme : http://lacompagne.eklablog.com/
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Hier soir, F a eu du mal à manger. MF est du genre à faire quatorze plats pour un repas et il y a toujours des restes. Hier soir c'était repas de restes. Quand il est nauséeux, avec le mauvais goût dans la bouche et de mauvaises odeurs qui l'incommode, difficile pour lui de manger. Il s'est contenté d'un peu de taboulé et j'ai vu qu'il faisait un effort pour le manger. A la fin du repas, il y avait des fruits. J'ai pris une poire, j'ai commencé l'éplucher et je lui ai demandé s'il pensait que ça passerait, il m'a dit " je ne sais pas", j'ai dit "essaye". Il a mangé un premier morceau, petit. J'ai conitnué à éplucher la poire et à chaque nouveau morceau, je lui proposais. Il a fini par manger la poire en entier.
Ce qui est drôle, c'est que j'étais toute joyeuse qu'il mange cette poire, toute heureuse d'avoir trouvé quelque chose qui ne le dégoutait pas, et lui me regardait tendrement, comme s'il savait ça. J'ai même pensé qu'il acceptait de la manger pour cette joie que cela me procurait, et puis non, quand même vu son état.
Dans ce geste, moi d'éplucher et lui de manger, c'est fou l'amour qui passait entre nous, comme si nous étions seuls au monde,parce que seul à éprouver l'ampleur de cette émotion. C'est drôle et étrange où va se nicher le bohneur dans ce type de circonstance...
Hier après midi, sur les traces d'une enfance perdu. J'ai fait la route jusqu'à Angoulême, ville où je suis née. Puis celle entre Dignac et Sers. J'avais le vague souvenir que la maison familiale, celle qui fût le fantasme de la maison du bonheur se trouvait sur cette route. Je l'ai retrouvée, son portail blanc intact,avec sa pancarte "planche meunier" avec quelque nouveau bâtiment autour. J'ai retrouvé aussi, "la vergne", qui était la ferme des parents de mon premier amour, c'est devenue une colonie de vacances. Je n'ai fait que passer, je ne suis même pas descendue de voiture. Je n'y ai pas vraiment de souvenir, j'ai plutôt hérité du souvenir de ma mère et de mes soeurs. J'étais contente surtout d'avoir su la retrouver sans personne pour me guider, qu'un vague souvenir et mon instinct.
Puis je suis retournée sur Angoulême, ballade dans la vieille ville, achat de cadeaux pour nos amis, boire un Panaché en attendant F qui arrivait par le train en fin de journée.
Il est arrivé "à ramasser à la petite cuillère", c'est son expression. Pâle, épuisé, ayant du mal à recevoir la joie de sa grande fille M, le sentiment de sa fragilité, le besoin de se créer un espace de protection autour d'un corps qui souffre.
Nous nous sommes embrassés du bout des lèvres, puis nous avons mit nos mains dans celle de l'autre. Dans la voiture, sa fille à mit sa main sur mon épaule et ce simple geste m'a fait monter les larmes aux yeux.
Pourtant, hier après midi, à la terrasse du café, tandis que je décorais mes ongles de couleurs festives, j'ai pensé "il va guérir". C'est la première fois que je m'autorise cette pensée. Sans doute parce que MF m'a raconté qu'une amie à elle a guéri du même Cancer que F. Sans doute que de savoir qu'il y a quelqu'un de réel qui a gueri m'a permit de croire la chose possible. Hier, j'ai accueilli F avec joie, sans feinte, et malgrés mes larmes aux yeux, malgrés ma peine de le voir souffrir, je n'avais pas, pour la première fois, le poids de l'angoisse.
L'état de choc sans doute est en train de se dissiper.
Mais je dors toujours aussi mal et j'étais de nouveau réveillée à cinq heures ce matin sans parvenir à me rendormir. Chaque état, chaque étape est fragile, rien n'est acquis, l'équilibre est par définition précaire, mais je m'accroche aujourd'hui à cette pensée, "il va guérir", j'ose m'y accrocher car je ne la perçoit plus comme une chimère mais une vrai possibilité.
J'ai appelé F tout à l'heure via facetime. Mauvais jour, mauvaise mine, mauvaise voix. Un jour ou les nausées se font plus fortes à cause de la chimio. Quand je raccroche, je suis prise par une vague d'angoisse, un étau qui m'oppresse, me prend toute mon énergie et me laisse épuisée. J'ai laissé ma fille L à MF et je suis partie me promenner avec M. Nous avons un peu parler de son père, de mon angoisse, de ma culpabilité à lui faire partager ça. C'est une fille de 16 ans d'une grande maturité et somme toute je crois que ça lui a fait du bien que j'en parle, elle s'est sentie utile en m'écoutant, en me rassurant. Et je l'en remercie. De retour de la promenade, l'étau c'est un peu desserré.
Ou que je sois, avec lui ou loin de lui, je souffre de sa souffrance, il n'y a rien à y faire. Ne pas oublier que ces symptômes sont liés à la chimio, ils ont une durée d'environ 10 jours. Ce n'est pas son cancer qui le fait souffrir mais ce qui le soigne, c'est l'étrangeté de cette maladie. Sa double peine.
Parfois me traverse l'idée que nous aurons peut être une bonne nouvelle après son scanner de fin Août, mais quand cette idée me traverse je la chasse, parce que je n'ose pas avoir de l'espoir, je n'ose pas me projeter dans quelque avenir que ce soit dans cette maladie, ni l'espoir, ni le désespoir, je ne peux vivre que l'instant.
Allons au bout de cette logique. L'instant là, j'écris maintenant. Dans l'instant d'après je vais retrouver ma fille et mes amis. La vie gagne instant après instant, tant que la mort n'est pas là.
Depuis que je suis arrivée ici, je me détends un peu. MF prend tout en charge, JL me lance dans des discussions infinies, nous parlons beaucoup de tout et de rien et un peu du Cancer de F. Mais pas trop. Je me prélasse sur une chaise longue la plupart du temps.
Je n'ai pas fait de rêve jusqu'à cette nuit. Une femme, une sorte de reine, une femme autoritaire, tyranique, raffole des poissons vivants. Elle les sort délicatement de l'eau et les appelle mes petits chéris en leur faisant des bisous sur la bouche. Elle les tient fermement tandis qu'ils se débattent et étouffent, puis elle les remet dans l'eau.
Je suis visiblement avec ma fille, ou un symbole de ma fille L. Nous tenons en laisse deux poissons qui sautent devant nous tantôt sur le sable, tantôt dans l'eau. c'est un cadeau pour la reine. Nous courrons pour arriver à temps pour les lui offrir, avant qu'ils ne meurent. Quand elle les apperçoit, elle se précipite sur eux, les embrassent et les jette dans une assiette creuse dans laquelle il y a tout juste assez d'eau pour qu'ils survivent, puis demande à des serviteurs d'aller les mettre dans son aquarium. Elle a aussi un cadeau pour nous. Deux poissons morts qu'elle nous offre à manger.
Je me réveille, j'ai mal partout, aux épaules surtout. Je me dis que c'est un étrange rêve dont l'interprétation doit être du pain béni pour psy.
F est sorti de l'hôpital il y a deux jours après sa deuxième chimio. Nous nous connectons souvent. C'est bon de le voir sur l'écran. Il a une bonne voix, plus que ce qu'il me dit c'est sa voix qui me rassure et qui me fait penser que c'est un peu moins difficile que la première. Ce sont les effets secondaires de la chimio qui ont fait de lui un homme malade. c'est dur pour lui et pour moi aussi. Je suis dans une hyper vigilence, à guetter le moindre soupir, la moindre grimace. ça me rapelle quans j'étais une jeune amoureuse, c'est la peur de la perte, de l'abandon. Je guettais le signes de lassitude, aujourd'hui je guette les signes de la maladie qui risque de me l'enlever. ça s'estompera peut être avec le temps, je ne peux m'empêcher de lui demander tout le temps comment il se sent, ça le gave un peu je crois. Mais pour l'instant je ne parviens pas à m'en empêcher.
Ma petite L hier m'a dit : "maman j'ai envie de parler avec toi" - "oui ? Qu'est ce que tu veux me dire ?" - "Est ce que papa est sorti de l'hôpital ?" - "Oui, ma chérie" Et puis elle a couru devant moi dans l'aroretum qui nous héberge, et elle a repris ses jeux. Ma petite L est une gamine fantastique, si heureuse de vivre. C'est si facile, si agréable de vivre avec elle.
Ma première colère contre la maladie de F à été pour elle. Je me suis dit "merde, fais chier, on était pourtant bien parti, on lui offrait un bon environnement pour grandir, un environnement avec papa et maman qui s'aiment et qui l'aime." L'idée de sa souffrance à elle est plus pénible que la mienne. Je disais à F l'autre jour que je n'étais pas véritablement inquiete pour lui, parce que c'est "un grand garçon", il me l'a prouvé en maintes occasions, il assume, il assure, je n'ai pas à m'inquiéter dans le sens maternant du terme. Je m'inquiete pour notre petite L, pour sa grande M et pour moi aussi bien sur.
J'ai décidé de cesser de m'inquiéter pour ma mère; j'ai prévenu me soeurs. Deux d'entre elles m'ont répondu que je faisais bien, les deux autres n'ont pas répondu. Je ne pense pas qu'elles désapprouvent, je pense qu'elles ne savent pas quoi dire. Le cancer est une violence pour tout le monde en fait, le cancer évoque le drame, la mort. Il fait tellement peur. C'est dur aussi pour l'entourage à entendre et à répondre.
Je regarde le ramier posé sur la frêle branche du saule. Il se balance au gré du vent,léger.Je m'imagine oiseau, la douceur de la caresse du vent dans mes plûmes, la fine branche à laquelle je m'accroche, l'équilibre, funambule de la liberté. Je rêve de l'instant où je vais déployer mes ailes et m'envoler, m'évader de mon humaine condition.
J'ai fait un rêve étrange cette nuit. Je me retrouvais à table avec ma mère et sa mémoire défaillante, mon père, tel que je l'ai vu la dernière fois, il y a douze ans maintenant, un ami, un étranger à la famille, une personne qui ignore tout de notre histoire. Je demandais à ma mère d'être moins agressive auprès de cet ami. Lui expliquant que nous savions que ce n'était pas son intention mais que c'était tout de même ce qu'elle émettait. Mon père tentait alors de se faire plaindre, "avoir une épouse pareille", réinventant l'histoire tel qu'il en a l'habitude. Je voyais l'ami penché du côté de mon père, lui offrir un regard compatissant. Je voulais redonner de l'équilibre, supportant mal le mensonge et son injustice, mais je ne voulais pas expliquer, raconter encore notre histoire comme je pouvais le faire à une époque pensant tout résoudre avec les mots. J'étais retenu de tout déballer parce que je ne voulais pas devenir la victimes de ces deux là aux yeux de cet ami, car ce n'était pas juste non plus, en tout cas ce n'est pas ainsi que je me sentais.
L'autre soir en revenant de Chartres, j'ai laissé conduire mon compagnon, j'étais si fatiguée par tout ça. Son Cancer du poumon, ma mère à l'hôpital ... Je regardais défiler le paysage, j'ai vu une biche au loin, dans les champs, c'est la deuxième que je vois en une semaine. J'ai vu des lièvres aussi.Comme si la nature m'offrait son spectacle ou décidait d'ignorer ma présence peut être. Moi qui ne croit pas en dieu, je n'ai pu m'empêcher de penser "merci".Parce que c'était beau, cette vie qui s'offrait à mon regard, c'était comme un baume sur mes angoisses de mort.
Hier, mon compagnon voulait emmener tout le monde à Montoire, au cimetierre, là ou sont ses parents, ses oncles, etc. Surtout pour répondre à la question que notre petite fille de quatre ans "et demi", se pose ces derniers temps "il est ou mon papi mort ?". il pleuvait, c'était un jour à cimetierre. Lui, notre fille, son autre fille de 16 ans, regardaient les tombes, lui, expliquant, la petite aquiesçant, la grande accompagnant. Moi, un peu à l'écart, spectatrice d'une histoire qui n'est pas la mienne, mais la leur. Notre petite sereine, posant ses questions d'enfant. C'est beau la simplicité de l'enfance.
Un peu plus tard je fait la remarque à mon compagnon que plusieurs tombes ont de petites pancartes indiquant que la concession arrive à expiration. Une de nos discussions depuis son cancer : " tu veux être incinérer ?" "l'idéal pour moi serait d'être enterré au cimetierre de mes parents mais il n'y a plus de place"... Et moi, je lui fait remarquer que si, il y en a. Il me dit "oui, tu me mettras là, juste derrière mon père". Puis il rit en me disant que nous avons de fort joyeuses conversations.
C'est étrange je n'étais pas triste à l'envisager. Je n'éprouvais rien en fait. J'ai de plus en plus souvent une séparation entre les mots et les émotions. C'est un état de choc que j'ai déjà connu. Les mots d'un côté, l'émotion de l'autre, avec une sorte d'incapacité à les réunir. En Ecrivant cela, j'ai envie de vomir.